Cécile Dejoux est Professeur des universités au Cnam et affiliée à l’ESCP Business School. Elle pilote le Learning Lab « Human Change » au Cnam, et l’on ne présente plus ses MOOCs passionnants sur l’innovation managériale dont actuellement « Manager par le CARE pour engager les équipes ». En octobre, elle lance « ChatGPT et IA : mode d’emploi pour managers et RH ».
Pour Beeshake, elle livre son regard sur l’innovation en entreprise à l’ère postcovid, le rôle du manager dans ce nouveau normal, et les tendances à suivre en la matière.
Où en est selon vous la culture de l’innovation en entreprise ?
L’innovation a changé de forme après la Covid.
Traditionnellement, l’innovation s’appuie sur la création de nouvelles idées, de nouvelles technologies et de nouveaux produits. Et c’est un train à grande vitesse ! Les entreprises qui ne prennent pas le train en route se retrouvent à la traine dans la course à l’innovation, et donc dans la course à la croissance. Jusqu’à présent, les entreprises innovaient par mimétisme, pour rester dans le train. Et ce mode de fonctionnement n’a pas été remis en question, tout simplement parce qu’il fonctionnait.
Or, après le Covid, l’innovation telle qu’on la connaissait a montré des failles, et soulevé de nouvelles questions. La relation profonde entre innovation et croissance a notamment été remise en question avec le nouveau paradigme de l’écologie et de la sobriété. Faut-il toujours croître ? Innover, est-ce faire plus ? Ou est-ce faire différemment ? Est-ce faire de la croissance, ou est-ce réparer ?
Dans ce contexte, il convient de se demander si la course à l’innovation en entreprise a encore du sens. Car le mode de pensée traditionnel est remis en question. On se rend compte qu’il faut ralentir cette course à l’innovation. D’autant plus que pour un collaborateur, « produire plus » n’est pas synonyme d’ « avoir plus » à la fin.
En outre, l’innovation en entreprise se transforme pour aller vers une une innovation de réparation. Innover et réparer, c’est possible, et c’est le leitmotiv de l’innovation postcovid dans le nouveau normal. Et les entreprises qui veulent encourager une culture de l’innovation doivent prendre en compte ce nouveau paradigme.
Dans ce contexte, comment devenir un manager agile et innovant ?
Première chose, il est essentiel de former les managers à travailler avec des outils digitaux qui sont liés aux intelligences artificielles génératives. C’est d’ailleurs l’objet de mon prochain MOOC sur chatgpt et les IA. Car on ne peut pas aujourd’hui ignorer les outils d’efficacité et de productivité. Les intelligences artificielles génératives sont puissantes et innovantes.
Mais ces technologies ont un coût d’accès : ils sont compliqués à utiliser. Il est donc absolument essentiel de donner envie aux managers de se former aux intelligences artificielles génératives.
D’autre part, il faut comprendre que l’intelligence collective est nécessaire, mais n’est plus suffisante. Je prône donc le combo : Data – Intelligence Artificielle – Intelligence Collective – Care Management. Le Care Management, c’est le fait, pour un manager, de porter attentions à ses collaborateurs et à leur singularité. Pourquoi est-ce important ?
- Parce que les burn-out explosent et touchent les plus jeunes qui se surinvestissent dans leur travail
- Parce qu’il faut donner à chacun les outils pour se connaître et être équilibré
- Parce qu’il faut s’adapter à chacun, faire un management personnalisé pour chacun
Si on ne commence pas par le Care, on ne peut pas aller vers l’engagement collectif des collaborateurs.
Bref, on ne peut pas manager au rythme de l’innovation pour le business. Il faut aller dans un rythme très lent pour les équipes. Car nous sommes des humains, autrement dit, des êtres limités, et nous ne pouvons pas aller au rythme de l’innovation.
Pour résumer, les managers doivent accompagner l’innovation dans le business mais pas être au rythme de l’innovation dans le management.
Comment mesure-t-on l’efficacité et l’impact de l’innovation managériale ? Quels sont les indicateurs clés à prendre en compte ?
Attention, on ne peut pas tout mettre en KPIs. Mais je dirais que l’on peut utiliser quelques outils :
- Les enquêtes d’engagement
- Le taux de turnover
- Et bien sûr, l’informel que l’on peut capter
Auriez-vous des exemples d’entreprises qui appliquent le management par le Care ?
Plusieurs exemples sont détaillés dans les interviews de ma chaîne YouTube « Les jeudis de Cécile » :
Par exemple chez Malakoff Humanis, la question du Care est adressée par la reconnaissance individuelle, l’écoute de chacun, et la capacité à repérer les signaux faibles.
Autre exemple chez SAUR, où la conduite du changement est passée par des phases de transformation (de l’organisation, des outils, des process) et par des temps de pause pour reprendre son souffle et prendre soin de soi. C’est grâce à ce schéma que le collectif a pu globalement tirer avantage des transformations opérées.