Blandine Briot est facilitatrice en intelligence collective. Pendant 15 ans, elle a travaillé dans des collectivités territoriales, avec objectif d’impliquer les citoyens, ses collègues, les élus dans le quotidien ou dans les projets des collectivités. Pour Beeshake, elle partage son expérience et son éclairage sur les méthodes d’intelligence collective.
Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’intelligence collective ?
Même si le concept d’intelligence collective est relativement récent, j’ai toujours imaginé mes projets en impliquant largement tous les acteurs concernés par ceux-ci, certaine que là était une des clés de la réussite de mes projets. Il a toujours été primordial pour moi de réunir toutes les parties concernées autour de la table pour réfléchir ensemble à la conception des événements, en veillant à ce que chacun, y compris les bénévoles, puisse vivre une expérience enrichissante. De même, dans le domaine de la communication, j’ai toujours cherché à élaborer des stratégies qui permettent à chaque service de s’approprier son message et ses outils de communication.
Dans mes fonctions en collectivité, en tant que représentante du personnel, j’ai privilégié une approche collaborative avec les directions pour améliorer les conditions de travail. Mon objectif était de favoriser une dynamique constructive. Cela permettait d’éviter les conflits et de favoriser l’épanouissement professionnel, tout en contribuant aux objectifs de la structure. Cette approche m’a conduite naturellement vers l’utilisation d’outils collaboratifs et de méthodes d’intelligence collective. Au fil du temps, j’ai approfondi mes connaissances, jusqu’à me former en tant que facilitatrice en intelligence collective. Une fonction que j’exerce aujourd’hui avec passion.
Quels moments clés de votre expérience vous ont conduite à développer des méthodes d’intelligence collective ?
Lors de mon expérience en mairie, j’ai été confrontée à une importante réforme. Celle-ci nécessitait une remise à plat totale, notamment en termes de salaires et de budget. Ce processus a exigé une collaboration étroite avec la direction, pour comprendre les besoins et réunir l’ensemble des parties prenantes. Rétrospectivement, cette expérience a été une première étape dans ma réflexion sur la manière d’aborder de telles situations. J’ai dû prendre en compte les problématiques de la direction, les contraintes budgétaires et les besoins des agents.
Par la suite, lorsque j’ai évolué vers des postes de manager et de cheffe de service, au sein d’une communauté de communes, je me suis profondément interrogée sur le type de manager que je souhaitais être et sur ce que je désirais pour les agents que j’accompagnais au quotidien. Je refusais d’adopter une position autoritaire, en imposant mes décisions. Au contraire, j’ai cherché à vivre une réelle expérience collective avec mon équipe, les accompagnant vers leur épanouissement personnel et par la même occasion, le mien.
Je suis fermement convaincue que la réussite d’une organisation et l’épanouissement individuel de ses membres peuvent être conciliés, simplement en valorisant les forces de chacun au service du collectif.
Comment les entreprises prennent-elles conscience de la puissance du collectif ?
La perte de motivation des équipes, le mal être au travail sont de plus en plus présents. La quête de sens est une réalité. Les jeunes générations qui intègrent le marché du travail ont un réel désir de contribuer. Pour répondre à cela, les entreprises savent aujourd’hui qu’elles doivent changer de positionnement managérial. Ayant accompagné à la fois des jeunes en début de carrière et des travailleurs proches de la retraite, j’ai constaté deux perceptions distinctes du travail. Mais tous partagent un objectif commun : bien faire leur travail. Effectivement, les nouvelles générations expriment un besoin pressant de comprendre le sens de leur contribution quotidienne à l’entreprise.
Il est contre-productif de simplement demander aux individus de se conformer sans questionnement. En négligeant l’intelligence collective dans son management, on se prive d’une richesse considérable. Il est essentiel d’adapter sa posture pour enrichir l’individuel tout en renforçant le collectif. Cela favorise alors l’engagement vers un objectif commun.
Vous avez créé une cellule créativité et innovation : concrètement, comment avez-vous fait ?
Au cours de mon expérience en communauté de communes, je me suis formée sérieusement à la facilitation en entreprise, afin d’explorer pleinement les processus d’intelligence collective. Pendant cette période, une collègue cheffe de pôle m’a présentée une cellule d’innovation créée par une amie dans son entreprise.
Nous, nous étions dans une petite collectivité regroupant une centaine d’agents, tous services confondus. Bien que située dans une zone géographiquement dynamique, cette collectivité était implantée dans un territoire rural. Les ressources humaines étaient limitées. Nous avions déjà développé des approches collaboratives dans nos services respectifs, mais l’implémentation à l’échelle de la collectivité était un défi.
Nous nous sommes alors posés plusieurs questions :
- Quels seraient les objectifs de la cellule ?
- Comment fonctionnerait-elle ?
- Qui y participerait ?
- Qu’apporteraient les participants et qu’en retireraient-ils ?
Le plus grand défi était de structurer clairement notre projet, de définir nos objectifs et de gérer notre temps. Car cela s’ajoutait à nos responsabilités respectives. Mais nous avons tout de suite eu le soutien de la direction qui a accordé le temps nécessaire pour mener à bien nos actions.
Comment les méthodes d’intelligence collective ont-elles influencé les transformations managériales ?
Dans un premier temps, j’ai introduit l’intelligence collective dans mon service, par petite touche, de manière constante, notamment lors des réunions. Chaque réunion était nécessairement collaborative, et les résultats obtenus ont rapidement été remarqués.
Je vous donne un exemple concret. Un jour, mon directeur adjoint m’a sollicitée, reconnaissant le besoin de changement dans la manière dont les réunions des chefs de service étaient menées. Elles étaient alors très hiérarchiques et peu interactives. Il y avait un manque d’engagement manifeste de la part des participants. Nous avons alors opté pour une approche rétrospective lors d’une réunion de deux heures. Cela signifiait de discuter de ce qui fonctionnait actuellement, de leurs besoins, et de ce qu’ils souhaitaient pour l’avenir. De nombreuses idées ont émergé de cette séance et ont été rapidement mises en œuvre. Certaines même que nous n’avions pas envisagées au préalable.
Quelques mois plus tard, cette nouvelle approche managériale a été travaillée lors d’une journée d’intelligence collective en vue d’identifier les changements à apporter dans la manière de diriger. Cela a notamment abouti à l’élaboration d’une charte de confiance, définissant les besoins communs pour favoriser un environnement de travail propice à l’engagement.
Les résultats ont été significatifs ! Les réunions des chefs de service se déroulent désormais sans ordinateurs ni téléphones portables, dans un espace aménagé en cercle pour favoriser l’interaction et la cohésion. Nous parvenons désormais à générer du contenu pertinent en seulement deux heures. Cette évolution positive a également eu un impact sur les autres services de la collectivité.
[Lire aussi : Mettre en place un management participatif – Le point de vue d’Amélie Fenzy]
Comment avez-vous intégré les concepts de sens et de plaisir au travail dans votre méthode d’intelligence collective ?
Les méthodes d’intelligence collective peuvent être appliquées à de nombreuses thématiques. Personnellement, ma principale motivation est de les placer au service du sens et de la confiance au travail, sources de plaisir et de bien-être. Lorsque vous ne savez pas où vous allez, vous vous sentez inconfortable et vous avez du mal à vous épanouir dans ce que vous faites et à vous dépasser. Lorsque j’accompagne des individus, je fais la part belle au « Pourquoi » et au « Pour quoi ». Quelle est votre intention ? À quoi souhaitez-vous contribuer ? De quoi avez-vous besoin pour y arriver ?
J’accorde également une grande importance à l’inclusion, en reliant les individus les uns aux autres, en les connectant à la thématique en question, en insufflant de l’énergie et en créant un sentiment de groupe adapté à chaque situation.
Enfin, créer les conditions de la confiance est crucial. Car même en réunissant les personnes les plus compétentes, sans ce lien de confiance, le chemin sera toujours chaotique.
De plus, il est important de prendre en compte les différences individuelles. Tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. Je me suis donc beaucoup formée pour comprendre les besoins individuels et comment les intégrer au service de la réussite collective. En d’autres termes, laisser chacun s’exprimer tout en respectant les particularités des uns et des autres. Mais également, favoriser les interactions pour stimuler la créativité et permettre au groupe de trouver ses propres solutions.
Quels sont les retours observés en termes de satisfaction au travail et d’engagement des équipes ?
Un des retours les plus fréquents est : « J’ai le sentiment que ma voix a été entendue ». C’est un indicateur essentiel de succès, car il témoigne d’une réelle implication des participants. Plus largement, nous considérons avoir réussi lorsque les individus s’engagent spontanément, prennent des initiatives pour se joindre à nous, s’impliquent activement et proposent des idées. Dans ces moments, nous ressentons véritablement l’engagement du groupe.
La posture des participants durant les ateliers est également révélatrice de leur engagement. Je n’ai aucun souvenir d’un atelier où un groupe est reparti en exprimant l’idée que cela était inutile. Cette absence de désillusion témoigne de la valeur perçue par les participants et de leur satisfaction quant à leur contribution.
Votre conseil pour convaincre la direction de mettre en place des démarches managériales plus collaboratives
Mon conseil repose sur la technique des petits pas. La transformation des processus prend du temps et demande de la patience.
On ne fait pas la révolution, on fait des évolutions.
Ma méthode consiste à démontrer progressivement que cela fonctionne. Par exemple, dans ma dernière collectivité, j’ai, d’abord, introduit un temps collaboratif dans une petite partie de la réunion, puis j’ai étendu cette approche progressivement à l’ensemble de la réunion. Il est essentiel de ne pas braquer les gens, de reconnaître que cela prend du temps et de faire preuve de pédagogie, en expliquant en permanence le sens de ces changements.
Le mot de la fin
Pour ceux qui éprouvent de l’appréhension ou de la réticence, il est important de ne pas craindre d’expérimenter et d’oser essayer. En réalité, nous n’avons pas grand-chose à perdre, mais tout à gagner. Mon expérience personnelle m’a démontré qu’il suffit d’une volonté affirmée et d’oser franchir le premier pas.